Enrichissement injustifié et conjoints de fait

À la différence des autres provinces canadiennes, le Québec ne reconnait pas le statut juridique des conjoints de fait sauf dans certaines lois spécifiques. La décision Éric c. Lola, en 2013, semblait clore le débat sur les relations économiques entre conjoints non mariés. Cette décision confirmait que l’union de fait, à proprement parler, ne créait pas d’obligation ni de droit.

À titre d’exemple, théoriquement, une relation de plusieurs années, à elle seule, ne permettrait pas d’obtenir une partie des biens, régime de retraite ou encore une pension alimentaire pour ex-conjoint. Cette situation est différente dans la majorité des autres provinces, comme pour la Colombie-Britannique, où les conjoints de fait ont les mêmes droits et obligations que les époux après 2 ans de vie commune.  

Le Québec a opté pour une formule différente en permettant aux couples de faire vie commune sans pour autant créer d’obligations entre eux. Ainsi, un couple qui souhaite se voir reconnaitre un statut juridique peut choisir entre le contrat de vie commune et le mariage.

Il faut cependant évaluer chacune des situations avant de conclure qu’une personne conjointe de fait n’aurait pas de droit, et ce, parce que les tribunaux sont de plus en plus enclins à compenser, dans certaines circonstances, un conjoint de fait qui s’est appauvri alors que l’autre conjoint s’est enrichi au détriment de l’autre.

Cette situation particulière a fait couler beaucoup d’encre depuis 2013 au Québec. Certains juges vont même jusqu’à critiquer ouvertement le législateur dans leur jugement. C’est le cas de l’honorable Robert Mongeon, juge à la Cour supérieure, qui écrit :

« sauf semble-t-il le Législateur, tous s’accordent à dire qu’en 2018 les conjoints de fait ont droit à̀ une meilleure protection et à une plus grande reconnaissance de leurs droits de la part du système judiciaire »[1]

Dans cette affaire, qui a été portée à la Cour d’appel[2], les conjoints n’étaient pas mariés, mais avaient des enfants issus de leur union et étaient copropriétaires de la résidence familiale. Madame prétendait que, par sa dévotion à la famille, elle avait permis à Monsieur de se consacrer pleinement à la création de son entreprise qui, au moment de la rupture, avait permis à Monsieur de récolter plusieurs millions de dollars. En Cour d’appel, le droit de Madame à une indemnité pour enrichissement injustifié fut maintenu à 2 393 836,51 $ pour son apport à la co-entreprise familiale, bien que Monsieur reprochait au juge de première instance d’avoir instauré un régime de droit à des conjoints de fait malgré le fait que le législateur ne prévoit pas un tel encadrement juridique dans le Code civil du Québec. Par ailleurs, la Cour d’appel, sous la plume du Juge Sans-façon, dans cette affaire, confirmait le droit de Madame à se voir payer ladite somme à titre d’indemnité pour enrichissement injustifié.  

Plusieurs auteurs se questionnent quant à la pertinence d’instaurer un nouveau régime légal pour les conjoints de fait au Québec. Certains proposent que des obligations entre conjoints se créer par l’arrivée du premier enfant, alors que d’autres sont d’avis qu’après un certain nombre d’années et le sérieux de la relation, un lien juridique soit créé entre conjoints de fait. De toute évidence, la réforme du droit familial au Québec se fait attendre.  

Article publié dans le Journal des citoyens de Prévost, édition du 18 février 2021. 


[1]Droit de la famille — 182048, 2018 QCCS 4195 

[2]Droit de la famille – 201878,2020 QCCA 1587